I. Introduction
Le présent rapport, qui couvre la période allant de janvier à décembre 2015, est soumis en application du paragraphe 22 de la résolution 2106 (2013), dans laquelle le Conseil de sécurité m’a prié de lui faire rapport chaque année sur la mise en oeuvre de ses résolutions 1820 (2008), 1888 (2009) et 1960 (2010) et de lui recommander des mesures stratégiques. Les faits nouveaux survenus pendant la période considérée renforcent les craintes au sujet de l’utilisation de la violence sexuelle par les groupes terroristes et extrémistes violents, notamment dans le cadre du système de punition et de récompense instauré pour consolider leur pouvoir. Dans sa résolution 2242 (2015), le Conseil a constaté l’évolution du contexte mondial en matière de paix et de sécurité, en particulier les dimensions sexuelles de l’extrémisme violent et du déplacement massif de population. En qualifiant la violence sexuelle à la fois de tactique de guerre et de tactique de terrorisme [résolution 2242 (2015)], il a reconnu que les stratégies de règlement des conflits et de lutte contre le terrorisme ne pouvaient plus être dissociées des efforts entrepris pour protéger et autonomiser les femmes et les filles et lutter contre les violences sexuelles liées aux conflits.
L’expression « violences sexuelles liées aux conflits » recouvre des actes tels que le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution, la grossesse, l’avortement, la stérilisation et le mariage forcés et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, perpétrés contre des femmes, des hommes, des filles ou des garçons, et ayant un lien direct ou indirect (temporel, géographique ou causal) avec un conflit. Ce lien peut se manifester dans le profil de l’auteur (qui est souvent rattaché à un groupe armé, étatique ou non), le profil de la victime (qui appartient souvent à une minorité politique, ethnique ou religieuse persécutée), le climat d’impunité (qui est généralement associé à l’effondrement de l’État), les répercussions transfrontières (comme les déplacements de population et la traite des personnes) ou les violations d’accords de cessez-le-feu.
Même si de nombreuses régions sont exposées à la menace de violences sexuelles liées aux conflits, en sont le théâtre ou en subissent les retombées, le présent rapport se limite toutefois aux 19 pays pour lesquels on dispose d’informations fiables. Pour la première fois, les entités des Nations Unies sur le terrain ont été priées de présenter des rapports sur l’utilisation de la violence sexuelle comme tactique de terrorisme (voir sect. III). Il convient de lire le présent rapport en tenant compte de mes sept rapports précédents sur les violences sexuelles liées aux conflits, l’ensemble des informations qu’ils contiennent indiquant les raisons qui ont présidé à l’inscription de 48 parties sur la liste (voir annexe). Comme en 2014, la majorité de ces parties sont des acteurs non étatiques. Intervenir auprès de ces acteurs pour les amener à respecter les résolutions du Conseil de sécurité soulève des difficultés politiques et opérationnelles sans précédent. Tous les États qui ont été inscrits à maintes reprises sur la liste en raison de graves violations contre des enfants et de violences sexuelles liées aux conflits ne seront plus autorisés à participer aux opérations de paix des Nations Unies. Les fournisseurs de contingents et de personnel de police qui sont actuellement visés dans cette liste pour de telles raisons sont priés de prendre contact avec mes représentants spéciaux pour s’en faire retirer et pour mettre en oeuvre des engagements assortis d’échéances précises ainsi que des plans d’action concrets afin de faire cesser les violations qui ont motivé leur inscription [voir résolution 2242 (2015) et S/2015/682].
Le présent rapport a été établi sur la base d’informations réunies par les Nations Unies. Grâce à la présence accrue sur le terrain de conseillers pour la protection des femmes, qui sont chargés de convoquer les réunions dans le cadre des arrangements de suivi, d’analyse et de communication de l’information relatifs aux violences sexuelles liées aux conflits et de faciliter le dialogue entre les parties au conflit en vue d’obtenir des engagements en matière de protection, la qualité des données et des analyses guidant les interventions s’est améliorée. À ce jour, 34 conseillers sont déployés dans sept missions. Les six missions de maintien de la paix investies d’un mandat de protection des civils ont toutes mis en place les arrangements de suivi, d’analyse et de communication de l’information et intégré dans leurs dispositifs de protection au sens large le tableau d’indicateurs d’alerte rapide relatifs aux violences sexuelles liées aux conflits. L’action concertée menée pour renforcer les mesures de prévention, d’alerte et d’intervention rapides face aux violences sexuelles liées aux conflits continuera de nécessiter des ressources humaines et financières adaptées à l’ampleur de la tâche.
Renforcer les capacités des institutions nationales est nécessaire pour assurer la répression des violences sexuelles liées aux conflits. Conformément au mandat que le Conseil de sécurité lui a confié dans sa résolution 1888 (2009), l’Équipe d’experts de l’état de droit et des questions touchant les violences sexuelles commises en période de conflit apporte une assistance aux gouvernements dans plusieurs domaines : enquêtes et poursuites pénales, justice militaire, réforme législative, protection des victimes et des témoins, réparations envers les victimes. L’Équipe, qui relève directement de ma Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, est composée d’experts du Département des opérations de maintien de la paix, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ainsi que d’un spécialiste détaché par l’initiative Preventing Sexual Violence in Conflict du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Elle tient à jour une liste d’experts spécialisés dans divers domaines. Depuis sa création, elle joue un rôle moteur dans la mise en place des cadres de coopération convenus entre ma Représentante spéciale et les autorités nationales et les acteurs régionaux, contribuant ainsi aux travaux menés par les entités des Nations Unies sur le terrain. Grâce à la fourniture d’une assistance spécialisée, les gouvernements peuvent juger efficacement les affaires de violences sexuelles liées aux conflits, comme en Guinée, où l’appui technique apporté par l’Équipe a permis l’inculpation de 16 dirigeants militaires et politiques pour des actes de violence sexuelle et d’autres crimes commis en septembre 2009. De par sa structure et sa composition, l’Équipe contribue également à améliorer la cohérence entre les entités qui la composent dans le domaine des violences sexuelles liées aux conflits. À ce jour, elle est intervenue en Colombie, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Libéria, au Mali, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, en Somalie et au Soudan du Sud.
La Campagne des Nations Unies contre la violence sexuelle en temps de conflit, à laquelle 13 entités des Nations Unies participent sous la présidence de ma Représentante spéciale, appuie l’élaboration de formations, d’orientations et de ressources de sensibilisation destinées à renforcer les moyens techniques dont disposent les entités des Nations Unies sur le terrain pour faire face aux violences sexuelles liées aux conflits de manière globale et coordonnée. En 2015, la Campagne a alloué des financements incitatifs au déploiement de conseilleurs pour la protection de la femme en Côte d’Ivoire et en République démocratique du Congo, aidé à cartographier les interventions en vue de l’application de la stratégie nationale de lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits en Côte d’Ivoire et financé un projet conjoint en matière de justice transitionnelle en Bosnie-Herzégovine. Pour améliorer les pratiques sur le terrain, plusieurs outils et produits axés sur le savoir ont été mis au point, notamment : des orientations pour le renforcement de l’intervention médico-légale en cas de violences sexuelles en temps de conflit, élaborées par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS); une note d’orientation sur les points de rencontre entre le Système de gestion de l’information sur la violence sexiste et les arrangements de suivi, d’analyse et de communication de l’information, établie par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR); une série de modalités d’appui au niveau des pays. Des missions conjointes d’appui technique ont été effectuées au Mali en janvier et au Soudan du Sud en avril. En 2015, quelque 30 experts ont été sélectionnés à partir du fichier d’enquêteurs internationaux spécialisés dans les crimes sexuels et sexistes, établi conjointement par l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et l’Initiative d’intervention rapide au service de la justice, et affectés à divers mécanismes de détermination des responsabilités, notamment la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Érythrée, les missions d’établissement des faits en Iraq et en Libye et les instances nationales chargées de juger les crimes de guerre. En collaboration avec plusieurs partenaires, le Département des opérations de maintien de la paix et le Département de l’appui aux missions ont mis au point un nouveau module de formation sur les violences sexuelles liées aux conflits destiné à être intégré à la formation préalable au déploiement (fondamentale et approfondie), en plus d’un programme de formation avancée sur les missions intégrées à l’intention du personnel militaire, civil et de police.